
Dans la salle de consultation de l’une des plus grandes maternités publiques situées à Cotonou, les femmes enceintes, arrivées dès 7h ou bien plus tôt pour certaines, sont assises et attendent les consultations, qui ne débuteront pas avant 9h. Certaines ont parcouru de longues distances pour faire le suivi de leur grossesse, convaincues que les soins dispensés dans cet hôpital sont non seulement les plus abordables financièrement, mais aussi que l’établissement compte parmi les mieux équipés en cas d’urgence.
Christine (nom d’emprunt) fait partie des patientes du jour. Mère de trois enfants, elle porte à 36 ans sa quatrième grossesse. Elle est venue pour son échographie du deuxième trimestre et, comme à chaque rendez-vous, l’angoisse la gagne, bien qu’elle ne soit pas novice en la matière. Lorsque son tour arrive et qu’elle termine sa consultation, elle se dit soulagée de savoir que son bébé va bien : « À chaque consultation, je me demande ce qui va se passer. J’ai de mauvais souvenirs du comportement de certains soignants ici, mais je n’ai pas le choix. C’est ici qu’il y a les spécialistes, et ils sont bien équipés. Donc avec mon mari on s’est dit que c’est mieux que j’accouche ici malgré tout. »
Comme Christine, de nombreuses femmes enceintes appréhendent les rendez-vous médicaux pour diverses raisons. D’après plusieurs témoignages recueillis, l’ambiance dans les salles d’attente des maternités peut être pesante, marquée par des propos déplacés, des commentaires irrespectueux, voire le refus de répondre à certaines préoccupations des patientes. Ces expériences, bien que souvent banalisées, relèvent d’un phénomène plus large et préoccupant : les violences obstétricales.
Les violences obstétricales désignent les mauvais traitements, humiliations, négligences ou actes non consentis subis par les femmes pendant la grossesse, l’accouchement ou les soins postnataux. Elles peuvent prendre la forme de gestes médicaux imposés sans explication, de propos dégradants, de refus de prise en charge ou encore de brutalités physiques dans les maternités. Selon l’organisation internationale Human Rights Watch : « Les violences obstétricales sont des abus commis à l’égard des personnes enceintes qui reçoivent des services et des informations de santé sexuelle et génésique, qu’il s’agisse, entre autres, de soins de santé maternelle – soins prénatals, soins intrapartum et soins postnatals –, d’examens gynécologiques, de soins d’avortement et post-avortement, de traitements contre l’infertilité et de moyens de contraception. Elles incluent une prise en charge maltraitante par les médecins, infirmiers et infirmières, sages-femmes et autres membres du personnel hospitalier, y compris le personnel administratif et le personnel de sécurité. »
Au Bénin, ce sujet reste encore largement méconnu, souvent relégué au silence par les femmes elles-mêmes, par peur de stigmatisation ou par manque de recours. Pourtant, les violences obstétricales sont une violation des droits à la santé sexuelle et reproductive (DSSR), reconnus par les conventions internationales et les textes nationaux. Elles entravent le droit fondamental à des soins dignes, respectueux et sécurisés.
Parmi les vingt femmes interrogées dans le cadre de cette enquête, toutes ayant déjà vécu au moins un accouchement, 18 déclarent n’avoir jamais entendu parler de la péridurale à la maternité. Ce geste médical, pourtant courant dans de nombreux pays pour soulager la douleur pendant l’accouchement, reste méconnu pour une majorité de patientes béninoises. « On m’a dit que la douleur fait partie de l’accouchement », confie l’une d’elles, résignée.
En août 2025, l’Institut National de la Femme dénonçait les violences obstétricales subies par certaines femmes au Bénin lors de l’accouchement et invitait les victimes et témoins à en parler. L’organisme gouvernemental qui a pour rôle de lutter contre la discrimination et les violences basées sur le genre, pointait du doigt les pratiques telles que les actes médicaux sans consentement, l’épisiotomie systématique, la contraception imposée et les remarques sexistes ou humiliantes. Des pratiques qui sont très souvent dues au manque de formation du personnel, à la surcharge des structures sanitaires et à l’absence de mécanismes de plainte contribuent fortement à ces violences.
Pourtant des études conduites par l’Organisation mondiale de la santé montrent que la manière dont les femmes vivent leur parcours de soins pendant la grossesse et l’accouchement est aussi déterminante que les actes médicaux eux-mêmes. Ainsi, lorsque les expériences sont marquées par des pratiques irrespectueuses ou violentes, cela peut profondément affecter la confiance des patientes et les dissuader de consulter à nouveau. Ce phénomène s’observe également dans l’accès aux méthodes de contraception et aux soins liés à l’avortement sécurisé, où les expériences négatives freinent le recours aux services disponibles.
Dans ce contexte préoccupant, une mobilisation progressive s’amorce. La parole se libère davantage dans les espaces publics notamment sur les réseaux sociaux où les témoins et victimes racontent leurs expériences et décrivent les violences. Des organisations de défense des droits des femmes, des professionnelles de santé engagées et des patientes elles-mêmes dénoncent les abus et réclament des soins plus humains, plus éthiques et plus respectueux.
Annick Nonohou Agani, sage-femme, juriste et experte en Droit de la santé, recommande : « Les victimes doivent briser le silence, procéder au signalement par tous moyens des VOG subies afin de faire entendre leurs voix, d’exiger la justice et la réparation des préjudices subis. Elles doivent aussi déposer leurs plaintes contre décharge à l’Institut National de la Femme, afin de bénéficier d’une prise en charge psychosociale, médicale et d’une assistance juridique et judiciaire. »
Pour Christine et tant d’autres, ces avancées restent encore lointaines. Mais elles témoignent d’un changement en marche, porté par une volonté collective de faire des maternités béninoises des lieux de vie, et non de souffrance.
C.A.A.



